Contrôles d’identité : « le récépissé pour lutter contre l’humiliation » (l’Humanité)

Bonnehorgne Xavier le 22 septembre 2012 (voir site de l’Humanité)

Lors de son discours mercredi à Saint-Ouen devant les policiers et gendarmes, le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls a confirmé son désaccord quant à la mise en place d’un récépissé délivré lors des contrôles d’identité. Depuis, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault a désapprouvé son ministre jeudi matin sur RTL en réclamant un « rapport » sur les « modalités » permettant de lutter contre les contrôles policiers au faciès. Un double discours dans tous les cas décevant, notamment pour la représentante de l’association Open Society Justice Initiative (branche de l’Open Society Foundations fondée par George Soros en 1979) , Lanna Hollo pour qui, le récépissé est une solution efficace pour lutter contre les contrôles abusifs

 

Quelle est votre première réaction à l’annonce de Manuel Valls ?

Lanna Hollo. Je trouve très préoccuppant que le ministre de l’Intérieur se prononce contre cette mesure alors que c’était une promesse de François Hollande. Mais c’est aussi très inquiétant alors même que cela fait des années que nous avons en notre possession des rapports qui montre que le récepissé est efficace pour lutter contre les contôles au faciès. C’est un problème très sérieux qui remet gravement en cause la relation citoyens-police. Les contrôles au faciès sont une véritable humiliation et une forme de contrôle sociale. C’est considérer qu’il y a des citoyens de seconde zone.

Dans son discours, le ministre de l’intérieur a justifié l’abandon du récépissé en invoquant qu’il ne « fallait pas compliquer de manière déraissonnable le travail des forces de l’ordre « . Quel est votre point de vue sur cet argument ?

Lanna Hollo. Ce n’est pas une réponse acceptable. Pour maintenir la sécurité, les forces de l’ordre ont besoin d’être efficace. Où est l’efficacité lorsque des policiers contrôlent une dizaine de fois une même personne dans la journée et ce alors qu’actuellement le contexte de travail des policiers est déjà explosif. Aujourd’hui, la police perd du temps car il n’y a aucun moyen d’encadrer et de suivre ces contrôles. C’est une perte de de temps aussi bien pour la population que pour la police. Les études déjà réalisées à ce sujet ont montré que les policiers gagnent en efficacité avec le récépissé ou avec des formes d’encadrement des contrôles. Soyons clair sur ce que nous préconisons et sur la manière de mettre en place le récépissé. Ce que nous souhaitons, c’est un récépissé que seule la personne gardera et que soit indiqué sur celui-ci ses informations civiles. Les policiers ne doivent pas garder les données ce qui au passage met fin à la question d’un éventuel fichage des informations.

Cette annonce satisfait les syndicats de police qui se sont indignés qu’on les stigmatise de manière injustifiée et insultante. Que leur répondez-vous ?

Lanna Hollo. De toute manière, encadrer le débat avec une toile de fond raciste n’est pas constructif. On parle nous, de pratiques discriminatoires. C’est une discrimination institutionnelle. Ce sont des stérétotypes qui sont souvent inconscients. La question n’est pas de stigmatiser la police mais c’est de mettre en lumière une pratique qui affecte les gens concernés. Mais il faut aussi ajouter que tous les syndicats de police ne sont pas contre le récépissé. Nous nous avons engagé dans le cadre d’expérimentations un travail avec la police. Il faut simplement faire un peu de pédagogie pour expliquer aux policiers que la mise en place du récépissé va dans leur sens et que cela peut être bénéfique sur leurs conditions de travail.

Au-delà de la mise en place du récépissé, que préconisez-vous pour lutter contre les contrôles au faciès ?

Lanna Hollo. D’abord, je voudrais insister sur le fait qu’il faut absolument mettre fin à ce stéréotype qui lie immigration et délinquance. Les contrôles au faciès contribuent d’ailleurs à amplifier ces préjugés. Tout cela va prendre du temps et c’est aussi pour cette raison que la question du récépissé est complexe. Il y a derrière des enjeux idéologiques, des stéréotypes, des préjugés qui sont encore particulièrement ancrés dans notre société. Ensuite, un travail législatif est nécessaire. Il faut modifier l’article 78.2 du code de procédure pénal qui encadre les contrôles d’identité et dont les critères sont aujourd’hui beaucoup trop larges. Les policiers doivent avoir de vraies raisons pour contrôler une personne. Quant aux mesures du type, rendre visible le matricule ou le bannissement du tutoiement, qui sont des pistes envisagées par le gouvernement, je pense qu’elles sont intéréssantes mais elles ne sont pas en mesure de faire reculer les abus sur les contrôles d’identité. Il nous faut des mesures fortes avec une traçabilité.

La police de proximité n’était-elle pas un bon moyen de rétablir le dialogue entre la police et la population ? 

Lanna Hollo. Oui sans hésitation. On a un nouveau gouvernement, et donc il nous faut aussi développer de nouvelles manières de contrôler et de sanctionner. Ce qui pose problème en France c’est le rapport entre la police et sa hiérarchie. Dès lors que les policiers sont sous pression d’une évaluation chiffrée drastique, il faut rendre des comptes. Mais où est le gain pour la population ? Il faut remettre la police au service de la population et non pas au service des statistiques chiffrées. La police doit jouer son rôle de service public. Mais il faut aussi inclure dans ce débat les acteurs locaux pour rétablir le dialogue.

Quelles sont les dispositifs mis en place pour éviter les contrôles au faciès dans d’autres pays européens ? 

Lanna Hollo. Le Royaume-Uni possède le récépissé sous une version un peu controversée certes, puisqu’il comporte des données ethniques et ne serait donc pas adaptable à notre modèle, mais il a montré son efficacité à un niveau local. Mais il faut aussi expliquer que dans ce pays, il y a  tout simplement une autre culture de la police et donc des contrôles. Le rapport entre cette dernière et sa hiérarchie n’est pas le même et les agents ont un suivi dans ce domaine qui est particulièrement intéressant. Il y a aussi une certaine forme de dialogue pour accompagner les officiers dans l’utilisation de l’outil des contrôles d’identité. Des espaces de dialogue avec la population existent par ailleurs.

Il existe aussi un autre site pilote en Espagne à Fuenlabrada, à côté de Madrid. Le dispositif fonctionne très bien. Les agents sont très bien formés. La police est mise en relation dans des réunions avec différentes communautés. Cela a non seulement eu un impact positif sur les conditions de travail de la police mais aussi sur le rapport entre les officiers et la population. Actuellement, cette ville aide trois autres municipalités à développer le même type de dispositif. En Hongrie cela a aussi bien fonctionné. Nous avons aussi des expériences en Bulgarie mais là l’expérimentation a moins bien fonctionné car la police n’est pas vraiment à la hauteur, il y a des problèmes de corruption etc….

Comment allez-vous vous mobiliser dans les prochaines semaines contre cet abandon du récépissé ? 

Lanna Hollo. Pour nous c’est une question de droit fondamental et de démocratie.  Il y a actuellement quinze cas d’action en justice contre l’Etat en cours pour délit de faciès. Si rien n’est décidé, les procédures vont se multiplier. Le cas échéant, nous saisirons la Cour Européenne pour faire condammner la France. Une jurisprudence existe déjà au niveau européen contre l’Angletterre où il y a eu certains cas abusifs.

Bonnehorgne Xavier